You have a lightful smile to show to the world [PV Phélina]

Déboussolée. Oui. Déboussolée. Voici le mot qui me caractérisait si bien. J’étais perdue. Complètement pommée. Cette soirée … Cette nuit, était un enfer. Elle avait pourtant si bien commencé. De la téquila, une bonne ambiance et un sentiment de plénitude éphémère. Je me sentais enivrée par une chaleur que je ne connaissais que lorsque je buvais quelques verres. C’est surement l’emprise de l’alcool qui m’a poussé à ouvrir la porte de la chambre d’Angel. Cette chambre où je n’aurai jamais dû me trouver. Un instant d’éternité volé qui avait un prix. Un prix bien trop lourd à payer pour quelques instants passés aux côtés du jeune homme. Ses mains. Ses yeux. Son regard. Ses révélations. Tout se bousculait dans ma tête. Comme une boule de flipper qui roulait sans cesse. Ma dégaine traduisait ma détresse. Mon t-shirt débraillé, les cheveux en bataille et l’eye-liner qui avait coulait, laissant apparaitre de longues trainées noires le long de mes joues.  

J’errais sans but dans les rues de Tusla. J’étais partie et je ne pouvais pas retourner chez moi … Du moins, chez nous. J’étais épuisée par ce torrent d’émotions qui m’avait traversé en si peu de temps. Les hématomes qui se trouvaient autour de mon cou, me faisaient souffrir. Les mains posées dessus, je marchais. A cette heure, tout le monde dormait paisiblement et moi, je cherchais juste à fuir une réalité bien trop lourde à porter. Beaucoup de pensées se bousculaient dans ma tête. Fuir. Oui mais pour aller où ? En finir ? Non, j’aimais bien trop la vie. J’avais toujours menée ma vie d’une main de maitre et voici qu’aujourd’hui, je ne savais plus.  

Au final, après beaucoup de marche, j’atterrissais devant le conservatoire de la municipalité. Cet endroit me semblait chaleureux. Surement parce que je le connaissais que trop bien. Depuis le retour d’Angel, j’avais cruellement besoin de me changer les idées. Plus jeune, j’aimais beaucoup écouter les mélodies jouées au piano. Mais je n’avais jamais eu le temps de l’apprendre. Aujourd’hui, après quelques leçons de solfège, je m’étais lancée à l’eau. La sensation que me procurait l’instrument, était la seule chose qui panser les blessures de mon âme. Une seule note suffisait à me rendre un peu plus vivante. Prendre des cours de piano, était surement la meilleure décision que j’avais pris de toute ma vie.  

Normalement, l’accès était interdit à cette heure. Mais par chance, je connaissais les codes d’accès. Avec mon professeur, Peter, ils nous arrivaient souvent de terminer tard nos leçons et donc de faire la fermeture du centre. Je pu donc me faufiler à l’intérieur jusqu’à la salle de piano sans me faire remarquer. Là-bas, se trouvait le piano. Instinctivement, je me dirigea vers l’instrument avant de m’installer devant lui. Lorsque mes doigts commencèrent à pianoter, une bouffée d’air m’envahit. Je me sentis libérée. Comme si ma détresse s’était envolée. Le regard d’Angel avait fini de me hanter. Mes mains ne cachaient plus les hématomes qu’il m’avait fait. La mélodie enivrait mon âme et mon cœur encore plus qu’une bouteille de téquila complète.  

Lorsque je finissa la seule et unique mélodie que j’avais commencé à apprendre, le silence s’installa. Mon regard vide, fixait l’instrument. Mes pensées n’étaient que néant. Mes mains se laissèrent tomber sur mes jambes. La force qui m’avait menée jusqu’ici, me quittait. Et des larmes me montaient. Leur goût salé, ne m’était plus étranger désormais. Je me sentais tellement pitoyable de pleurer de la sorte. Mais que pouvais-je y faire ?  

Soudainement, alors que j’essuyais mes larmes, je sentis une main se poser sur mon épaule. Surprise, je ne pu m’empêcher de sursauter. Je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un à cette heure si tardive. Une voix se fit entendre. Une voix si familière. Peter.  Mon professeur. Quelle drôle de surprise. Agréable. Je m’entendais bien avec lui. Son petit côté mystérieux m’intriguait. La passion dont il faisait preuve lorsqu’il jouait, m’envoutait. Il était tellement noble que je ne pouvais pas me permettre de rester dans cet état. Passant rapidement ma main dans mes cheveux pour tenter de les remettre correctement, je lui adressa un petit sourire qui sonnait légèrement faux.

“ Je sais mais j’attends nos cours avec tellement d’impatience que je n’ai pas su résister à l’envie de venir pour être sûre d’être à l’heure ! “

Je l’admettais. Je préférais passer pour une idiote, plutôt que pour une pauvre fille. Surtout devant Peter. Cependant, mon professeur ne semblait pas dupe alors qu’il s’installait à mes côtés devant le piano. En même temps, qui pouvait l’être ? Une excuse. Je devais absolument trouver une excuse.  

“ Oh … Oui. J’ai un peu honte à vrai dire. J’ai juste un peu abusé de la téquila ce soir ! “

Mes doigts pianotant sur deux gammes, j’espérais juste qu’il ne remarque pas mes hématomes dans la pénombre et que mon excuse soit assez crédible …  

A cet instant précis, j’étais au bord de l’implosion. Je n’avais qu’une seule envie, c’était de crier, de frapper, de briser quelque chose autant que je l’étais. Certaines de mes notes sur le piano, se faisaient tantôt plus violentes, tantôt plus douces. J'avais l’impression que ma tête allait exploser. Mes pensées se cognaient les unes contre les autres, telle une symphonie désordonnée.  Après avoir été déboussolée, je me sentais en colère. En colère contre moi. Contre lui. Contre nous. Comment avions-nous pu laisser la situation aller aussi loin ? Comment pouvait-on s’aimer autant et se faire autant de mal ? Une question digne d’un examen de philosophie, qui restait pourtant sans réponse. J’étais blessée et les derniers mots qu’avaient prononcés Angel avant mon départ, me consumaient tel un incendie incontrôlable. Qu’est-ce que je n’aurai pas donné pour un bon verre de tequila bien corsé …

Au lieu de ça, je me retrouvais en compagnie de mon professeur de musique, Peter. Sa présence semblait apaiser un peu mon humeur. Il semblait tellement serein. Une sérénité qui se propageait tout autour de lui, atteignant les âmes les plus tourmentées. Mon regard encore troublé, s’était posé sur lui, sur ses mains qui glissaient comme des patins sur la glace. L’écouter jouer, était un pur plaisir. En ce qui me concernait, c’était une autre histoire. Je faisais beaucoup de progrès mais j’étais très loin d’être au niveau de mon professeur. D’ailleurs, les deux gammes que je m’étais mise à jouer, était d’un mauvais gout déroutant.  

Cherchant à détourner l’attention de Peter sur un autre sujet, je fus surprise quand je sentis sa main se poser sur une mèche de cheveux qui cachait mon visage. Lui qui avait toujours été distant avec main, semblait au final, plutôt affectueux. Une partie de sa personnalité qui m’était totalement inconnue mais qui ne me dérangeait pas. Par contre, je me crispa à sa question. Pour le moment, je n’étais pas prête à lui raconter tout ce qui s’était passé ce soir. De toute façon, je ne savais pas par où commencer de toute manière. Tout était brouillé. Des images d’Angel, de ses yeux, de ses pleurs, de son “Je t’aime”, apparaissaient comme des flashs dans mon esprit. Pour le moment, c’était encore trop frais. Trop vif. Comme une plaie lancinante.  

Heureusement pour moi, Peter se mis à jouer un morceau que je connaissais. Prise par l’engouement du morceau, je me mis à chanter avec Peter. Ce moment réchauffait un peu mon âme. Notre complicité se sentait dans notre duo et bizarrement, alors que quelques minutes plutôt, je m’étais sentie prête à tout casser, maintenant, à cet instant précis, je me sentais apaisée. Mon âme s’était envolée vers le pays dont parler notre chanson. Je me sentais bien et rien que pour cela, je le remerciais.  

Les événements s'enchaînèrent. Le garde et puis, ses mains. Le contact de ses mains. Surprise par son geste, je restai presque bouche bée. Je n’avais plus l’habitude de ce genre de geste. Mon regard posait dans le sien scrutait la moindre de ses émotions. Il semblait si froid et pourtant si réconfortant …

“ Je ne veux pas t’ennuyer avec cette histoire. Elle est tellement longue que je pourrais en écrire au moins cinq tomes. Ne t’en fait pas pour moi. “

Réfléchissant un instant à sa proposition, je sentis mon estomac grogner. D’ailleurs, mes joues se mirent à rougir lorsque je me rendis compte que le bruit avait résonné dans la pièce vide.

“ Je pense que mon estomac a répondu pour moi. C’est avec plaisir que j’irai dîner avec toi ! “

Tout en lui souriant, je me leva en lâchant ses mains et j’attrapa la veste que j’avais laissé tomber par terre en arrivant. Tout en nous dirigeant vers le restaurant, je me rendis compte, que finalement, je n’étais pas la seule à m’être rendue aussi tard au conservatoire …

“ Au fait. Comment se fait-il que tu étais encore au conservatoire ? Il est tard pour encore donner des cours …"

Avec tous les évènements de cette soirée, je m’étais rendue compte que j’en avais presque oublié de manger un bout. Heureusement pour moi que mon estomac et Peter, m’avaient rappelé à l’ordre. En même temps, entre ma petite cuite et notre petite dispute avec Angel, je n’avais pas vraiment ressenti la faim jusqu’ici. D’ailleurs, mon esprit se perdit un instant alors que nous marchions avec Peter en direction d’un restaurant qui m’était encore inconnu pour me moment. Même si, j’étais plutôt troublée par les évènements, cette sortie promettait de me changer les idées. J’en avais tellement besoin … Finalement, Peter se décida très vite quant au choix de notre restaurant. Un italien. Hum … Pourquoi pas. En même temps, cela faisait un petit moment que je ne m’étais pas rendue dans un restaurant. Même un simple Mc Donald, m’aurait tout autant fait plaisir. Je n’étais pas vraiment du genre difficile. Tout me convenait parfaitement.  

Alors que nous marchions, je sentis qu’on m’attrapa le bras presque violemment. Surprise, je perdis l’équilibre et alors que je m’apprêtais à tomber, je termina ma course dans les bras de Peter. Sur le moment, je sentis mes joues devenir rouge feu. Je ne m’étais pas vraiment rendue compte que je m’étais approchée dangereusement de la route. En même temps, j’étais tellement tête en l’air ces derniers temps. Me retrouvant dans une position plutôt malaisante, je me releva et tenta de faire bonne figure devant le jeune homme.

“ Ne t’en fait pas. Grâce à toi, je n’ai rien ! “

Quand nous finîmes par arriver au restaurant après quelques minutes de marche, Peter me laissa tout le loisir de choisir parmi l’une des tables libres pendant que lui, allait s’occuper du serveur. Par chance, il restait une table près d’une fenêtre, j’aimais ce genre d’endroit car de-là, on pouvait voir le monde continuer de tourner alors que nous nous arrêtions pour faire une petite pause.  Tout en l’attendant, mon regard se perdit sur l’extérieur. Dehors, le vent commençait à souffler, envolant les feuilles tombées des arbres. Ce n’était pas encore l’automne est pourtant, certains arbres se défaisaient déjà de leur manteau. Comme le temps passe vite. Trop vite.  

Lorsque Peter regagna notre table, il me requestionna une nouvelle fois sur les évènements qui m’avaient poussé à me rendre au conservatoire. Il invoquait la franchise dont il avait toujours fait preuve envers moi. C’est vrai. Je ne pouvais pas le nier. Peter n’était pas ce genre de personne qui cachait sa manière de pensée. Même lors de nos séances, lorsque c’était nul, il ne se cachait pas de la dire. Il disait toujours que la franchise permettait d’avancer. Il est vrai que pour ma part, j’en manquais cruellement. Vivre dans le mensonge était l’une de mes spécialités depuis quelques temps. Mon regard un peu perdu se posant sur le jeune homme, je soupira légèrement avant de lui répondre.

“ J’avais besoin de prendre l’air. A la base, je ne comptais pas me rendre au conservatoire mais lorsque je suis passée devant, j’ai ressenti comme une sensation d’apaisement en regardant cet endroit. T’ai-je dit raconté pourquoi j’aimais le piano et ce qui m’avait poussé à l’apprendre ? Je ne sais pas pourquoi mais lorsque je joue, j’ai l’impression que mes émotions se libèrent. “

Très vite, je me rendis compte que ce que je venais de lui dire, n’était pas suffisant pour lui. Attentivement, je l’écoutais. Comme je l’avais toujours fait depuis que nous avions commencé à prendre des cours ensemble. Quelque part, il n’avait pas vraiment tort. Je n’avais que très peu d’amies et ce n’était pas l’un des sujets que nous abordions, certaines pensaient que j’étais folle de m’accrocher au souvenir d’une vie ayant disparue avec Angel, il y a sept longues années et d’autres, n’en pensaient simplement rien puisqu’elles n’en avaient rien à faire. En ce qui concerne le seul vrai ami que j’avais, il était bien trop rancunier envers le jeune homme que pour me soutenir à 100%.  Au final, j’avais toujours tout gardé pour moi. Après tout, si personne ne me comprenait à quoi bon en parler ? Cependant, l’aura que dégageait Peter m’avait toujours mis en confiance depuis notre première rencontre. Il semblait tellement serein et impassible. Comment pouvait-il se soucier des problèmes d’une de ses élèves. Même si nous nous étions toujours bien entendu, je ne voulais pas lui bassiner les oreilles avec cette histoire. Pourtant, alors que je passais ma main sur l’endroit de mon cou où se trouvaient les hématomes, je sentis que des larmes commençaient à m’envahir. D’un revers de la main, je balaya cette petite larme qui pointait le bout de son nez. Je ne pouvais pas m’effondrer. Non. Je me l’interdisais.  

Nos verres étant arrivés entre temps, je bus une gorgée avant de me lancer dans mon récit, digne des plus grands dramas cinématographiques.

“ Crois-le où non mais il y a quelques années, j’ai été fiancée. Un garçon extraordinaire. Tellement extraordinaire qu’il avait décidé de porter toute la misère du monde sur ses épaules. Il sentait que quelque chose manquait à sa vie. C’est la raison pour laquelle il s’engagea dans l’armée malgré nos désaccords à ce sujet. Pendant sept longues années, je l’ai attendu. Je le pensais même mort pour tout t’avouer. Mais un jour, il a repointé le bout de son nez à la porte de notre appartement. Ce fût réellement un choc de le revoir et à la fois, je m’étais remise à espérer. Cependant, je me suis vite rendue compte que plus rien n’était pareil. Qu’il n’était plus le même. Cela fait quelques temps maintenant que nous vivons ensembles comme de parfaits étrangers. J’ai souvent voulu lui parler mais lorsque j’arrivai devant lui, les mots m’échappaient. Ce qui est le plus dur à vivre, c’est surtout de le voir être comme avant avec ses amis et avec moi, de faire comme si je n’existais littéralement pas. Ne pas exister aux yeux de la personne que vous aimez, c’est la pire des sensations et la plus cruelle des douleurs.”

Tout en finissant mon verre de téquila, je me mis à rire nerveusement en dévoilant un peu l’un de mes hématomes.

“ Figure-toi que c’est lui, les hématomes.”

Craignant que Peter ne s’imagine le pire des scénarios, je ne lui laissa pas le temps de réagir.

“ Ce n’est pas ce que tu penses. Je me trouvais juste au mauvais endroit, au mauvais moment. Avant de retourner à la maison ce soir, j’étais passée boire quelques verres afin de trouver un peu courage pour rentrer. Disons que je n’avais plus vraiment la notion de ce que je faisais. Je me suis glissée dans sa chambre et je me suis endormie à côté de lui. Je n’étais pas au courant qu’il faisait des terreurs nocturnes. Il ne se rendait pas compte de ce qu’il faisait. Lorsqu’il a repris ses esprits, nous nous sommes disputés. C’est pour cela que je suis sortie prendre l’air.”

Je n’avais pas vraiment été complète sur les détails de la dispute et la fin plutôt étonnante qu’avait pris notre échange. Comme d’instinct, mes doigts pianotèrent sur mes lèvres alors que je repensais au baiser que nous avions échangé alors que nous étions entourés par le chaos. Rien qu’en fermant les yeux, je pouvais encore sentir son souffle sur moi, son étreinte et les battements de mon cœur, près à exploser. Secouant la tête afin de reprendre mes esprits, je pris la carte en main.

“ Comme ça tu sais tout. Tu as quelque chose à me conseiller sur la carte ? “